L’ an 2000 Thuy contribua très symboliquement et artistiquement au mariage de son frère aîné.
Le faire – part de mariage, que tout le monde s’accordait à trouver merveilleux, était son œuvre.
Le motif était un lever de soleil lumineux, le soleil apparaissant sous la forme d’un cœur.
Ce mariage était important pour notre famille car il en était le premier et surtout récompensait les dizaines d’années de dévouement de notre fils ainé à sa sœur.
Depuis la naissance de Thuy, nous mesurons le sacrifice consenti par ses grands-frères, la vie de la famille et toute notre attention lui étant pour ainsi dire exclusivement consacrées.
Pour compenser quelque peu son handicap qui ne lui permettra jamais de mener une existence normale des filles de son âge.
Et ses deux frères ont dû s’assumer très jeunes. Sachant très tôt qu’ils devront veiller sur elle en permanence et pour toujours, ils ont acquis ce sentiment de responsabilité et cette maturité, se traduisant par une forte volonté de se dépasser et une grande énergie pour réussir.
Ils ont brillamment réussi leurs études, obtenant la mention très bien au baccalauréat et intégrant les plus prestigieuses grandes écoles françaises et universités américaines.
Leur comportement, d’amour filial, d’attachement à leur sœur mais aussi de compassion envers autrui , et surtout une grande solidarité et même une osmose entre eux, sont pour nous une grande compensation et nous aident à mieux supporter les déficiences de Thuy.
Aussi étions-nous heureux pour notre fils d’avoir trouver le bonheur et de pouvoir réaliser une vie de famille comblée, remplie d’espoirs et de projets.
Pour Thuy cet événement constituait un grand changement.
Désormais son frère aîné sera beaucoup moins présent, ses obligations professionnelles faisaient que sa famille s’établira d’abord à New York et ensuite à Londres.
Thuy, habituée à sa présence au moins chaque semaine, n’allait plus le voir que trois ou quatre fois par an.
Elle devait éprouver un grand déchirement , même si d’un naturel très réservée, elle dévoilait peu ses sentiments.
Comme tous les enfants trisomiques, elle avait besoin de forts repères pour se sentir en sécurité.
Et pour elle, notre famille était bordée par ses parents et ses deux frères.
Toute son affection se reporta sur son deuxième frère, pendant qu’elle restait en contact avec son frère aîné à force de communications téléphoniques et de mails.
Quand ce dernier trouva à son tour le bonheur en fondant son propre foyer , Thuy devait connaître à nouveau une période troublée.
Depuis l’âge de 16 ans Thuy est devenue une jeune fille charmante et jolie, espiègle , délicate et vivace . Son emploi du temps se partageait entre l’école privée à Paris, les cours de peinture , d’aikido, de natation et de piano.
Surtout elle se consacrait avec passion à ses travaux de peinture, avec des créations pour ses frères et ses belles-sœurs à l’occasion de grands événements : mariage, anniversaires ..
Comme ce tigre, signe astrologique de son deuxième frère, dessiné pendant ses séances à la galerie Arc en Ciel d’Antony.
En grandissant, comme toutes les jeunes filles, handicapées ou non, elle éprouvait un fort besoin d’autonomie envers ses parents. Ce sentiment, nous ne le réalisions pas à ce moment, habitués à toujours la considérer comme une grande enfant devant être constamment protégée, et persuadés que notre amour lui suffisait.
Comme souvent devaient réagir les parents d’enfants handicapés.
Par ailleurs Thuy a reçu une éducation vietnamienne stricte et elle devait souffrir de notre sollicitude envahissante sans pouvoir vraiment l’exprimer et encore moins s’y opposer.
En réaction, son attachement à ses frères, qui appartenaient à la même classe d’âge à ses yeux, devenait plus insistant, de même qu’une soif d’autonomie vis à vis de ses parents.
Ce qui rendait cette période de vie souvent conflictuelle, et exigeait de ma part beaucoup de doigté et de savoir-faire pour rendre les réunions de famille moins éprouvantes.
Thuy commençait aussi à mesurer la distance qui la séparait des autres et à éprouver des sentiments de solitude et de révolte en réaction à ce qui lui apparaissait comme une sorte d’injustice.
D’autant que son caractère et son affection constituaient un frein à sa communication et il n’était pas rare effectivement qu’il lui fût injustement reproché des fautes non commises.
Surtout elle prenait conscience de ses déficiences intellectuelles, comparée à ses frères. Il ne s’agissait nullement de jalousie envers des frères qu’elle admirait, mais d’une sorte d’incompréhension qu’elle ne pût les égaler.
Et il n’était pas rare , quand on lui demandait ses occupations dans l’établissement privé qu’elle fréquentait , qu’elle répondit la physique ou les mathématiques.
Alors qu’en réalité cet établissement dispensait des enseignements de base d’adaptation à la vie courante comme faire les courses, la vaisselle ou mettre la table.
Il nous revient souvent en mémoire, avec beaucoup d’émotion , les longues séances où elle essayait seule et de toutes ses forces de résoudre des problèmes d’ additions simples.
Ses tableaux témoignaient de ses sentiments intérieurs et sa peinture connaissait alors des hauts et des bas, suivant que la vie lui semblait agréable ou empreinte de frustrations.
Ils paraissaient tantôt éblouissants de couleurs vives et harmonieuses, du ton bleu vif au rose vif, tantôt éteints de couleur grise ou noire représentant des maisons isolées aux portes et fenêtres hermétiquement closes , ou encore des traits de pinceaux noirs d’une grande turbulence.
Mais ils étaient toujours très expressifs . Reflets de ses états d’âme du moment, ils étaient touchants par leur vivacité, leur richesse de sentiments, et même leur naïveté.
Selon la disponibilité de ses professeurs de dessin, Thuy alternait les cours à domicile et les cours collectifs à la galerie d’Arc en Ciel à Antony, où pouvait se lire sa fierté d’être une étudiante comme les autres élèves.
Avec beaucoup de chance et aussi fruit de nos nombreuses recherches , elle a toujours eu des professeurs de qualité, professionnelle mais surtout de cœur.
Nous la sollicitions constamment. Ses journées étaient remplies à la minute , alternant le scolaire et les cours privés.
De longues années durant , nous nous relayions afin d’assurer à Thuy une vie aussi comblée que possible.
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Commentaires
J’ai été très émue par le blog de votre fille, et par les textes de votre femme .
Je ne peux être qu’admirative face à autant d’amour .
Pour avoir ouvert ma classe de maternelle à Pierre, enfant trisomique, pendant 4 ans, je sais combien ces enfants sont attachants, même quand ils ne sont pas les nôtres.
Mon amitié va vers Thanh Thuy, et vers vous, ses parents.
Quelle belle histoire d’amour que vous nous avez raconte.
Vous avez fait un magnifique travail de parents, a Thuy de prendre son envol maintenant et je pense que vous lui avez donne de bonnes armes pour ça.
Amitiés
Gerard Tong